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Colloque de l'observatoire 2025 organisé par CAPP à l'école d'architecture

Dernière mise à jour : 30 avr.

Mon intervention sur les marchés publics de maîtrise d'œuvre (merci à Lorenzo Diez pour la photo)




Actualité jurisprudentielle marché public de maitrise d’œuvre

 

 

2 observations en introduction : déontologie des architectes et outil contractuel


►   Déontologie des architectes


Loi MOP 12 juillet 1985 abrogée et transcrite dans le CCP (1er avril 2019).

Point intéressant en matière de déontologie : la mission en matière de MP de MOE doit être globale « Pour les opérations de construction neuve de bâtiment, la mission de base comporte : 1° Les études d'esquisse ; 2° Les études d'avant-projet ; 3° Les études de projet ; 4° L'assistance apportée au maître d'ouvrage pour la passation des marchés publics de travaux ; 5° La direction de l'exécution des marchés publics de travaux ; 6° L'assistance apportée au maître d'ouvrage lors des opérations de réception et pendant la période de garantie de parfait achèvement ; 7° L'examen de la conformité au projet des études d'exécution et leur visa lorsqu'elles ont été faites par un opérateur économique chargé des travaux et les études d'exécution lorsqu'elles sont faites par le maître d'œuvre » (L2431-1 R2431-4).


Idem pour les « Pour les opérations de réhabilitation de bâtiment, la mission de base comporte les mêmes éléments que ceux visés à l'article R. 2431-4, à l'exception des études d'esquisse » (R2431-5).


Le maître d’ouvrage a ainsi l’obligation de confier au maître d’œuvre une mission comprenant tous les éléments de l’esquisse à l’assistance aux opérations de réception.


Cette mission de base est insécable (TA Melun, 19 mars 2002, préfet de Seine et Marne, BJCP23/2002 p.270).


Possibilité de contester le marché devant le JA


Possibilité de poursuivre l’architecte sur le terrain déontologique pour avoir accepté une mission partielle de MOE


Décision de la chambre nationale de discipline des architectes n°2017-177 et 2017-178 du 4 juillet 2018 (SCHMITT c. CROA-GE) : reproche de conclusion d’un MP MOE avec une mission partielle limitée à l’obtention du PC.


►   Outil contractuel


CCAG MOE (arrêté du 30.03.2021) en lieu et place du CCAG PI (2009) = caractère général puisque porte sur des prestations très diverses.


Documents contractuels facultatifs auxquels les acheteurs sont libres de faire référence pour définir le contenu de leurs marchés (CCP, art. R. 2112-2). Le cahier des clauses administratives générales n'est applicable qu'aux marchés qui s'y réfèrent.


En outre, s’ils s’y réfèrent, ils peuvent décider de déroger à certaines de leurs clauses. Obligation de mentionner expressément les articles des CCAG auxquels il est dérogé (CCP, art. R. 2112-3). 


Certaines clauses des CCAG ne sont pas purement contractuelles, mais traduisent, dans le contrat, des obligations législatives ou réglementaires ou des principes jurisprudentiels. Tel est le cas notamment des clauses rappelant les hypothèses dans lesquels le marché doit être conclu à prix révisables, relatives à la facturation électronique et au RGPD, des clauses de résiliation pour motif d’intérêt général ou d’exécution aux frais et risques du titulaire.


Dans les MP MOE, l’acheteur public était contraint de déroger massivement au CCAG PI : détermination du prix provisoire à prix forfaitaire  ; l’assurance-construction, la propriété intellectuelle, ou encore le paiement du solde.


Possible de faire valablement référence à un CCAG abrogé, citant CAA Bordeaux, 27 avril 2017, n°15BX01753 : Il résulte clairement de ces stipulations que les parties au contrat n'ont pas entendu se référer aux stipulations du nouveau cahier des clauses administratives générales applicable aux marchés de fournitures courantes et de services (CCAG-FCS) résultant de l'arrêté du 19 janvier 2009, notamment en ce qui concerne les règles de procédure préalables à la saisine du juge en cas de différend, mais à celles qui sont issues du CCAG-FCS approuvé par le décret du 27 mai 1977 ».


Position confirmée notamment dans un jugement du TA de Poitiers (TA Poitiers, 18 avril 2024, n°2200016) : « Toutefois, il est toujours loisible aux cocontractants d’un marché public de choisir d’appliquer une version antérieure du CCAG, sous réserve de le mentionner explicitement dans la liste des documents contractuels ».


Quid de l’indemnisation en cas d’arrêt des prestations ?


CCAG PI 2009 et 2021 :

31. 3. Arrêt de l'exécution des prestations : « Lorsque l'arrêt de l'exécution des prestations est prononcé en application de l'article 20, le pouvoir adjudicateur résilie le marché. La résiliation n'ouvre droit pour le titulaire à aucune indemnité ».


CCAG MOE 2021 : seul motif valable = résiliation pour motif d’intérêt général :

31 : Résiliation pour motif d’intérêt général : « Lorsque le maître d’ouvrage résilie le marché pour motif d’intérêt général, le maître d’œuvre a droit à une indemnité de résiliation, obtenue en appliquant au montant initial hors TVA du marché, diminué du montant hors TVA non révisé des prestations admises, un pourcentage fixé par les documents particuliers du marché ou, à défaut, de 5% ».

***


A.    Sur la responsabilité contractuelle


Elle s’applique jusqu’à la réception de l’ouvrage. Passé la réception, on parle de garantie post contractuelle (garantie biennale et décennale).


Rappelons ici que la responsabilité contractuelle de l’architecte ne peut plus être recherchée après la réception de l’ouvrage (CE 6 avril 2007, Centre hospitalier général de Boulogne-sur-Mer, n° 264490-264491), alors même que la réception du marché de maîtrise d’œuvre ne serait pas intervenue (CE 2 décembre 2019, sté Guervilly, n° 423544).


Conseil d'État, Chambres réunies, 22 décembre 2023, 472699 (défaut d’obligation de conseil)

L’office public de l'habitat (OPH) Domanys a confié la maîtrise d'œuvre de la construction d'un ensemble de quarante logements à Migennes (Yonne) à un groupement dont la société SIZ' IX Architectes, aux droits de laquelle vient la société Emmanuelle Andreani Architectes, était le mandataire. La réception de l'ouvrage a été prononcée avec réserves par des décisions des 2 novembre et 18 décembre 2015 et les dernières réserves ont été levées par décision du 2 novembre 2016. A l'issue d'un contrôle du respect des règles de construction effectué le 12 juillet 2016, le directeur départemental des territoires de l'Yonne a mis en demeure l'OPH Domanys de mettre les logements en conformité aux normes portant sur leur aération et leur accessibilité aux personnes handicapées. Les travaux permettant de remédier à ces non-conformités ont été effectués par la société Gebat Constructions, titulaire du marché de travaux, entre le 4 avril et le 9 juin 2017.

Par un jugement du 2 juin 2020, le tribunal administratif de Dijon a fait droit à la demande de l'OPH Domanys tendant à la condamnation de la société SIZ'-IX Architectes à lui verser la somme de 80 482,06 euros hors taxes correspondant au coût de ces travaux de reprise.

Par un arrêt du 2 février 2023, contre lequel l'OPH Domanys se pourvoit en cassation, la cour administrative d'appel de Lyon a annulé ce jugement et rejeté ses conclusions.

Le Conseil d’Etat annule cet arrêt considérant que La responsabilité des maîtres d'œuvre pour manquement à leur devoir de conseil peut être engagée dès lors qu'ils se sont abstenus d'appeler l'attention du maître d'ouvrage sur des désordres affectant l'ouvrage et dont ils pouvaient avoir connaissance, en sorte que la personne publique soit mise à même de ne pas réceptionner l'ouvrage ou d'assortir la réception de réserves. Ce devoir de conseil implique que le maître d'œuvre signale au maître d'ouvrage toute non-conformité de l'ouvrage aux stipulations contractuelles, aux règles de l'art et aux normes qui lui sont applicables, afin que celui-ci puisse éventuellement ne pas prononcer la réception et décider des travaux nécessaires à la mise en conformité de l'ouvrage.

Il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que la cour administrative d'appel de Lyon a jugé que les non-conformités aux règles de construction des bâtiments d'habitation neufs relevées par la direction départementale des territoires de l'Yonne, n'auraient pas pu figurer au nombre des réserves assortissant la réception au motif qu'elles ne constituaient pas des non-conformités aux spécifications des marchés de travaux et qu'en admettant qu'elles relèvent d'erreurs de conception de l'ouvrage, leur signalement ne relevait pas de la mission d'assistance aux opérations de réception incombant au maître d'œuvre. Elle en a déduit que la responsabilité contractuelle de ce dernier pour manquement à son devoir de conseil à la réception ne pouvait être engagée pour ne pas les avoir signalées au maître d'ouvrage. En statuant ainsi, alors qu'il résulte de ce qui a été dit au point précédent que le devoir de conseil du maître d'œuvre impliquait que la société SIZ'-IX Architectes signale à l'OPH Domanys, lors des opérations de réception, toute non-conformité de l'ouvrage aux normes qui lui sont applicables, notamment aux prescriptions techniques en matière de construction relatives à l'aération des logements et à leur accessibilité aux personnes handicapées, afin que celui-ci puisse éventuellement ne pas prononcer la réception et décider des travaux nécessaires à leur mise en conformité, la cour administrative d'appel de Lyon a commis une erreur de droit.

Défaut de l’obligation de conseil engage la RC de l’architecte.

Le maitre d’œuvre engage également sa responsabilité contractuelle en cas de défaut de conseil au maître d’ouvrage dans l’établissement du décompte des entrepreneurs (CE 1er octobre 1993, Vergnaud et Gaillard, n° 60526).


B.    Garantie post contractuelle : garantie décennale


CAA Douai, 30 novembre 2021, n°19DA00347

La responsabilité décennale est prévue aux articles 1792 et suivants du code civil. L’article 1792 dispose que :« Tout constructeur d'un ouvrage est responsable de plein droit, envers le maître ou l'acquéreur de l'ouvrage, des dommages, même résultant d'un vice du sol, qui compromettent la solidité de l'ouvrage ou qui, l'affectant dans l'un de ses éléments constitutifs ou l'un de ses éléments d'équipement, le rendent impropre à sa destination ».

La garantie décennale est celle par laquelle tout constructeur garantit la réparation intégrale, pendant dix ans, des désordres graves subis par un ouvrage construit dans le cadre d'un marché public de travaux ou de maîtrise d’œuvre et qui n'étaient pas apparents lors de sa réception.

L'office public de l'habitat dénommé " Lille Métropole Habitat " est propriétaire des tours Mermoz, Guynemer et Blériot composant l'ensemble immobilier de 338 logements dit " Les Aviateurs " à Roubaix.

Par un acte d'engagement du 22 juillet 1999, il a confié la maitrise d'œuvre de la réhabilitation de cet ensemble immobilier, comprenant notamment une rénovation des façades avec mise en œuvre d'un isolant par l'extérieur, à un groupement conjoint formé de M. E..., architecte mandataire, et de la société ETR Ingénierie.

Le contrôle technique de cette opération a été confié à la société Préventec et la société B... a été chargée de la réalisation des travaux du lot n° 2 " Bardage façade " en Acroballe et en Alucobond PE.

Les travaux ont démarré le 22 janvier 2001 et la réception de ceux portant sur les parties communes et les façades des tours a été prononcée, sans réserve, le 5 avril 2005, avec effet au 26 mai 2004.

Le 14 mai 2012, un incendie s'est déclaré sur le balcon d'un appartement du premier étage de la tour Mermoz et s'est rapidement propagé à l'ensemble de la façade de l'immeuble, causant le décès d'une résidente du dix-septième étage du bâtiment, victime d'une intoxication à la fumée.

Par jugement du 18 décembre 2018, le tribunal administratif de Lille a condamné solidairement les constructeurs (MOE, contrôleur technique,  société de bardage) à verser à Lille Métropole Habitat, sur le fondement de la garantie décennale des constructeurs, une somme de 6 072 849,92 d'euros en réparation des préjudices résultant des désordres affectant les tours " Les Aviateurs ".

Le maître d’œuvre a relevé appel de ce jugement et la CAA l’a entendu : « les désordres dont la réparation est demandée, qui résultent exclusivement du stockage de matériaux sur le balcon par un locataire du premier étage de la tour Mermoz, sont dépourvus de lien avec les missions confiées aux constructeurs dans le cadre des travaux de réhabilitation des tours " Les Aviateurs " et ne peuvent, par suite, être regardés comme de nature décennale. Lille Métropole Habitat n'est, dès lors, pas fondé à rechercher la responsabilité décennale des constructeurs. »


Ainsi, les désordres sont dépourvus de tout lien avec les missions confiées aux constructeurs et ne peuvent « être regardés comme de nature décennale »


La responsabilité décennale n’est pas d’ordre public, ce qui signifie que le juge ne peut pas la relever d’office (CE 14 mars 1969, Commune de Voutezac, T. p. 881).


Elle bénéficie tant aux travaux de construction d’un ouvrage neuf qu’aux travaux de modification ou de réfection d’un ouvrage existant (CE 3 juin 1988, Sté Entreprise Palud, n° 58876 et CE 11 décembre 2013, Commune de Courcival, n° 364311). Elle bénéficie également aux éléments dissociables de l’ouvrage, s’ils le rendent impropre à sa destination (CE 8 décembre 1999, Sté Borg Wagner, n° 138651).


La garantie décennale n’est applicable qu’aux travaux ayant donné lieu à réception, l’absence de réception pouvant être relevée d’office par le juge (CE 20 janvier 1982, Souchon, n°11418). En revanche, elle ne trouve à s’appliquer qu’aux travaux réceptionnés sans réserve, puisque les travaux réceptionnés avec réserve continuent de relever de la responsabilité contractuelle du titulaire (CE 16 janvier 2012, Commune du Château d’Oléron, n° 352122).


S’agissant des désordres concernés, il ne s’agit que des désordres résultant de vices non apparents lors de la réception (CE 12 juin 1970, Commune de Bièvres, n° 77275).


Ces vices doivent être de nature soit à compromettre la solidité de l’ouvrage (étanchéité insuffisante, affaissement, éclatement du béton des murs, insuffisance des fondations…) soit à le rendre impropre à sa destination.


Les désordres doivent également être apparus dans un délai de 10 ans après la réception de travaux.


Enfin, un constructeur peut voir sa responsabilité engagée dès lors qu’il a participé de manière directe et effective à l’acte de construction en cause, sans que l’administration ait à prouver qu’il a commis une faute. C’est un régime de présomption de responsabilité reposant sur la notion d’imputabilité et non un régime de responsabilité pour faute (CE 2 février 1973, Trannoy, n°82706).


Garantie biennale de bon fonctionnement (éléments d’équipements dissociables de l’ouvrage pour une durée de deux ans à compter de sa réception). D’inspiration civiliste, codifié à l’article 1792–trois du Code civil.  


Précisions sur la garantie de parfait achèvement (GPA). Selon l'article 1792-6 du code civil comme une garantie à laquelle l'entrepreneur est tenu pendant un délai d'un an, à compter de la réception des travaux. Seul l’entrepreneur qui y est tenu (exclusion du maître d’œuvre). Pourquoi : obligation de réparer les désordres.


C.   Sur l’impartialité et le conflit d’intérêts


TA Cergy-Pontoise, 6 novembre 2024, n°2415095 : le seul fait pour des salariés du maître d'œuvre d'avoir travaillé plusieurs années auparavant pour l'attributaire ne suffit pas à caractériser un conflit d'intérêts.

Dans ce jugement le tribunal administratif de Cergy-Pontoise apporte d'utiles précisions sur l'appréciation des situations de conflit d'intérêts et le caractère approximatif des délais d'exécution.

En l’espèce, un syndicat intercommunal a lancé une procédure adaptée pour l’attribution d’un marché public ayant pour objet des travaux de réfection de la toiture d’une piscine. Trois sociétés ont candidaté. La société classée en première position a obtenu la note de 88,75/100 tandis que la société classée en deuxième position a obtenu la note de 83,60. Celle-ci a décidé de saisir le juge des référés afin qu’il annule la procédure de passation litigieuse.

 Un des moyens soulevés par la société requérante est le suivant : le pouvoir adjudicateur « a méconnu le principe général d'impartialité et le principe d'égalité de traitement des candidats résultant de l'existence d'un conflit d'intérêts dès lors que […] le maitre d'œuvre chargé d'assister le syndicat, et la société attributaire ont des liens très particuliers dans la mesure où deux salariés chargés d'affaires de la société [maitre d’œuvre] sont d'anciens employés de la société attributaire ».

Le tribunal, dans son raisonnement, commence par rappeler l’article L.3 du code de la commande publique :

« Les acheteurs et les autorités concédantes respectent le principe d'égalité de traitement des candidats à l'attribution d'un contrat de la commande publique. Ils mettent en œuvre les principes de liberté d'accès et de transparence des procédures, dans les conditions définies dans le présent code. / Ces principes permettent d'assurer l'efficacité de la commande publique et la bonne utilisation des deniers publics ».

Il rappelle ensuite que le principe d’impartialité est un principe général du droit qui s’impose à toute autorité administrative (CE 3 décembre 1999, Didier, n°207434 pour le principe, en matière de sanction ; CE 14 octobre 2015, Société Applicam Région Nord-Pas-De-Calais, n°390968 pour une application du principe d’impartialité dans le cadre d’un référé précontractuel). Ce principe implique notamment « l'absence de situation de conflit d'intérêts au cours de la procédure de sélection du titulaire du contrat ».

Aux termes de l'article L. 2141-10 du code de la commande publique : « Constitue une situation de conflit d'intérêts toute situation dans laquelle une personne qui participe au déroulement de la procédure de passation du marché public ou est susceptible d'en influencer l'issue a, directement ou indirectement, un intérêt financier, économique ou tout autre intérêt personnel qui pourrait compromettre son impartialité ou son indépendance dans le cadre de la procédure de passation du marché public ».

L'existence d'une situation de conflit d'intérêts au cours de la procédure d'attribution du marché est constitutive d'un manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence susceptible d'entacher la validité du contrat.

Dans ses conclusions sur la décision Société Applicam, Monsieur Gilles Pellissier avait exposé les deux conditions qui doivent être réunies pour caractériser un manquement au principe d’impartialité : il faut, d’une part, des circonstances susceptibles de susciter un doute sur  l’impartialité d’une personne, d’autre part, que cette personne ait participé à la procédure de passation ou ait été susceptible d’avoir une influence sur l’issue de la procédure.


S’agissant du critère portant sur les circonstances de nature à faire naître un doute sur l’impartialité

Le juge administratif doit tenir compte de la nature, de l’intensité, du caractère actuel ou non et de la durée des relations directes ou indirectes que la personne en cause a eue avec l’une des parties.

Le juge administratif a en revanche écarté la prise en compte de l’intentionnalité. La question n’est pas de savoir si la personne a effectivement avantagé ou désavantagé un candidat, ni même si elle a voulu ou tenté de le faire. Seul compte, comme dans la « théorie des apparences », l’existence ou non d’un doute légitime, au vu des éléments objectifs qui caractérisent le lien d’intérêt.

S’agissant du critère de l’influence que la personne a été susceptible d’exercer sur l’issue de la procédure, l’approche du juge est concrète et pragmatique. Gilles Pellissier disait en effet que « La rédaction des documents de la consultation fait courir moins de risques d’influence sur l’issue de la procédure que la participation à l’évaluation des offres ». Ainsi, le juge doit tenir compte des phases de la procédure auxquelles la personne mise en cause a contribué.

En l’espèce, la société requérante fait valoir qu’il y a conflit d’intérêt car deux salariés chargés d’affaires de la société maitre d’œuvre sont d’anciens employés de la société attributaire. Néanmoins, le juge des référés va considérer que le seul fait pour des salariés du maître d'œuvre d'avoir travaillé plusieurs années auparavant pour l'attributaire ne suffit pas à caractériser un conflit d'intérêts.

En effet, les deux salariés ont exercé leurs fonctions au sein de la société attributaire respectivement cinq et six ans avant la date de passation du marché litigieux. De plus, la société requérante ne démontrait pas le niveau d’implication de ces salariés dans le processus de passation, ni leur niveau de responsabilité.

Ainsi, « dans ces conditions, et même si la société attributaire a obtenu la meilleure note technique, il n'est pas établi que le syndicat intercommunal aurait commis un manquement au principe d'impartialité ni qu'il aurait méconnu le principe d'égalité de traitement des candidats ».


CE, 28 février 2023, Société française de télésurveillance, n°467455 : la société qui participe, au titre de sa mission d’assistance à la maitrise d’ouvrage, à l’analyse des offres, ne peut participer à la procédure de passation du marché sans compromettre l’impartialité de l’assistant à maitrise d’ouvrage.

Dans ses conclusions, Monsieur Nicolas Labrune rappelle la grille de lecture posée par Gilles Pellissier dans ses conclusions sur la décision Applicam (CE 14.10.2015 n°390968) et les deux conditions qui doivent être réunies pour caractériser un manquement au principe d’impartialité.

S’agissant de la première condition (les circonstances de nature à faire naître un doute sur l’impartialité), la question qui se posait était la suivante : le fait que l’AMO ait des liens d’intérêts avec le fournisseur d’un candidat est-il susceptible de faire naître un doute légitime sur sa neutralité ? En l’espèce, le lien entre l’AMO et le fournisseur est très étroit, puisqu’ils partagent le même dirigeant. Ainsi, l’attribution du marché représente un avantage certain pour le fournisseur. Le risque que l’AMO ait influencé le choix de l’attributaire en fonction de ses propres intérêts est donc suffisamment sérieux pour constituer un doute légitime.

En défense, le pouvoir adjudicateur avançait l’argument selon lequel le critère correspondant à la fourniture de ce logiciel n’était sanctionné que par une faible pondération. Le rapporteur public Labrune a écarté cet argument, car si l’AMO est susceptible d’avoir influé sur la procédure en fonction de ses propres intérêts, il est susceptible d’avoir joué sur tous les critères, et pas uniquement sur le critère relatif au logiciel.

S’agissant de la seconde condition (l’influence que la personne a été susceptible d’exercer sur l’issue de la procédure), le rapporteur public relevait que le nom de l’AMO apparaissait tant sur le rapport d’analyse des offres que sur un document intitulé « détail de la notion ». L’AMO ayant participé à l’évaluation des offres, celui-ci a été susceptible d’influencer la procédure.

Le Conseil d’Etat a donc estimé que la participation de l’AMO à cette procédure, alors que son dirigeant est également le dirigeant du fournisseur de l’attributaire, était constitutif d’un manquement au principe d’impartialité.


D.   Le concours de maîtrise d’œuvre


CE, 30 juillet 2024, Communauté d’agglomération Valence Romans Agglo, n°470756 : l’acheteur public n’est pas lié par le classement du concours de maitrise d’œuvre.

La communauté d’agglomération Valence Romans Agglo a lancé une procédure de concours restreint, en vue de la conclusion d’un marché de maitrise d’œuvre pour la reconversion en médiathèque et archives intercommunales de l’ancienne caserne militaire. La communauté d’agglomération a toutefois décidé de ne pas suivre l’ordre de classement du  jury, au motif que le groupement arrivé en première position dépassait l’enveloppe prévisionnelle fixée et a choisi le groupement classé en deuxième position par le jury.

Cette affaire était l’occasion, pour le Conseil d’Etat, de préciser la portée de l’avis du jury sur le choix du lauréat d’un concours organisé dans le cadre de la procédure de passation d’un marché public.

Le concours est une procédure qui était régie, au moment du litige, par l’article 8 de l’ordonnance du 23 juillet 2015. Elle est obligatoire, en vertu de l’article R. 2172-2 du code de la commande publique, pour les marchés de maitrise d’œuvre d’un montant égal ou supérieur aux seuils des procédures formalisées (215 000 € HT au 31.12.2023).

 

Cette procédure fait intervenir un jury qui est chargé d’examiner les candidatures et les offres et de rendre à l’acheteur public un avis motivé, qui n’a qu’une portée consultative 

(Lorsqu'une qualification professionnelle particulière est exigée pour participer à un concours, le jury doit comprendre au moins un tiers de personnes possédant cette qualification ou une qualification équivalente, tandis que les autres membres sont des représentants de l’acheteur).

Dans ses conclusions, le rapporteur public Labrune estime que le contrôle du juge sur le choix du lauréat par l’acheteur est un contrôle restreint, c’est-à-dire qu’il se limite à l’erreur manifeste d’appréciation.

En l’espèce, le CE a considéré que la CAA de Lyon avait commis une erreur de droit en retenant que l’acheteur ne pouvait s’écarter de l’avis du jury qu’à la condition que l’offre qu’il retient soit manifestement meilleure que celle proposée par le jury. En effet, la Cour avait jugé que lorsque l’acheteur décidait de ne pas suivre l’avis du jury, il devait « être en mesure de justifier sa divergence, notamment, d’expliquer en quoi les motifs qu’il privilégie doivent manifestement prévaloir sur le classement établi dans le respect des règles publiées de la consultation ». Cette solution de la Cour conduisait à donner un poids particulier à l’avis du jury, qui n’est pas prévu par les dispositions régissant la procédure de concours. L’avis rendu par le jury est bien un avis simple et non un avis conforme, comme le rappelle le Conseil d’Etat. Le pouvoir décisionnaire doit demeurer entre les mains de l’acheteur.

Ainsi, le pouvoir adjudicateur pouvait choisir l’offre classée en deuxième position par le jury du concours dès lors que l’offre classée en première position dépassait l’enveloppe fixée.

 
 
 

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